KYUDO – UNE TECHNIQUE ET UN ART
par R. HABERSETZER
Budo magazine europe.judo kdk décembre 1970
[…] Pour l’archer japonais il ne suffit pas de bien viser et de tirer sur la corde… L’essentiel est l’état d’esprit au moment du tir, l’efficacité des flèches lancées n’étant d’aucun intérêt ! Seule compte la tension spirituelle qui préside à l’acte. Dans son ouvrage « le Zen dans l’art chevaleresque du Tir à l’Arc », E. Herrigel cite son expérience personnelle auprès d’un maître japonais : pendant trois ans il dut tirer chaque jour à trois mètres de distance sur une cible de paille de 80 cm de diamètre sans jamais s’attacher au résultat. L’intérêt est visiblement ailleurs. Le maître dira que le tir est en fait une « lutte de l’archer contre lui-même » que le but n’est pas d’atteindre quelque chose d’extérieur ; arc et flèches ne sont que des auxiliaires d’une quête plus élevée. L’exercice au tir est une façon d’obtenir le parfait silence intérieur permettant à l’archer de vibrer avec tout l’Univers (« Lorsque l’arc est tendu au maximum, il inclut le Tout » : Me Kenzo Awa). On retrouve évidemment là toute l’importance du dépouillement de toute intention et le sens de la gratuité du Zen. Mais comment viser sans « vouloir » toucher ? L’éternel paradoxe… Et comment tendre l’arc (la corde est tirée loin derrière l’oreille, au niveau de l’épaule arrière, ce qui exige un effort musculaire très important) sans que cette tension compromette la relaxation totale (Zanchin) lors du lâcher de la flèche ? Car la seule tension doit alors se manifester dans le regard qui doit voir plus loin que la cible, à travers elle. Le but de la lenteur du cérémonial qui précède et accompagne chaque visée est d’accorder l’archer avec son arc. Lors du tir, l’archer se projette lui-même mentalement vers le but, il s’identifie à la flèche. Psychiquement, il appuie le coup, figé, respiration bloquée. On dit que le tir parfait émet un son mélodieux. « Juste avant le lâcher, trois choses, corps, esprit et instrument se marient en une seule tension harmonieusement balancée d’où doit jaillir la flèche. La visée est prise par l’œil droit. Quand le Shinki, ou esprit, est relié à la cible par l’intermédiaire de l’instrument de tir, la flèche atteint la cible. Surviennent des pensées parasites et, l’esprit et la flèche ne pouvant s’unir, l’harmonie du ciel et de la terre s’écroule. La flèche manquera sa cible. C’est ce que l’on désigne par le mot Zanshin ou « pensée résiduelle ». Ainsi s’exprime un vieux manuel de Kyudo. On comprend que le Kyudo soit souvent considéré comme une représentation parfaite du Zen. […]